Depuis toujours, la dot, appelée Kucaluka chez les Nande, constituait une pierre angulaire de l’organisation sociale dans cette ethnie du Nord-Kivu. Ce rite ancestral, qui consistait à offrir dix chèvres et des présents symboliques, liait deux familles dans une alliance sacrée, fondée sur le respect mutuel et la reconnaissance des responsabilités réciproques.
Cependant, au fil des années, cette tradition est bouleversée par une transformation profonde. Ce qui était autrefois un geste symbolique d’union est aujourd’hui en passe de devenir un commerce rigide, où la dot est fixée en monnaie forte, avec des prix parfois exorbitants, assortis de conséquences lourdes pour les jeunes générations et la cohésion sociale.
1. La dot : un rite traditionnel sacrée aux valeurs fortes
Dans la culture Nande, la dot n’a jamais été un simple paiement pour acquérir une épouse. Elle représente un échange social visant à renforcer les liens familiaux, assurer la stabilité du foyer et respecter les valeurs culturelles.

- Symbolisme : Dix chèvres symbolisent la fertilité, la prospérité et la reconnaissance des familles.
- Cohésion sociale : Le don de la dot engage les familles à coopérer, à protéger la jeune épouse et ses enfants, et à entretenir des relations harmonieuses.
2. La mutation vers une commercialisation préoccupante
Aujourd’hui, plusieurs phénomènes modifient radicalement cette pratique :
- Prix fixés d’avance : Certaines familles vont jusqu’à annoncer un prix précis à payer en argent, souvent très élevé. Ce prix est souvent non négociable. Si le futur mari ne peut s’acquitter de la somme, la dot est annulée, et c’est la fille qui en pâtit, car elle perd alors l’opportunité d’un mariage reconnu socialement.
- Montant indexé sur le niveau d’éducation : Plus la jeune fille est diplômée (baccalauréat, licence, voire doctorat), plus le prix de la dot augmente, transformant l’éducation en une sorte d’investissement commercial.
- Pression à l’union économique : Dans certains cas, la famille pousse la fille à accepter un mariage pour des raisons purement financières, par exemple avec un homme « solvable » — un commerçant ou un fonctionnaire — même en l’absence d’amour ou d’affection réelle. L’argument est souvent : « Il a l’argent, ta vie sera stable, tu dois partir avec lui. »

3. Conséquences humaines et sociales
Les impacts sont lourds et divers :
- Perte du choix personnel : La jeune fille, au lieu de choisir librement son époux, est contrainte par les réalités économiques familiales à accepter un mariage non désiré.
- Injustice et exclusion : Les jeunes hommes pauvres ou sans ressources sont exclus du mariage coutumier, ce qui fragilise leur statut social et leur intégration dans la communauté.
- Fragilisation du mariage : Quand le mariage repose essentiellement sur des considérations financières, il devient fragile, propice aux séparations et conflits.
- Grossesses précoces et unions libres : Le refus ou l’impossibilité de payer la dot pousse certains couples à vivre sans reconnaissance officielle, augmentant les risques de grossesses non planifiées et de situations précaires pour les enfants.
- Endettement : Les futurs époux contractent souvent des prêts auprès de proches ou d’usuriers, exposant leurs familles à des situations économiques précaires.
- Tensions inter-familiales : La dot élevée est source de disputes, voire de conflits violents, entre familles. Des recours sont parfois portés devant les chefs coutumiers ou les tribunaux.
4. Regard des autorités coutumières et civiles
Les chefs coutumiers dénoncent unanimement cette dérive :

« La dot ne doit pas devenir un commerce, sinon elle détruit la paix sociale et les valeurs ancestrales. »
Les autorités administratives rappellent que la dot ne constitue pas une obligation légale et que le mariage repose avant tout sur le consentement libre et éclairé des époux.
ONG locales engagées dans la promotion des droits humains sensibilisent sur les effets négatifs des dot excessives, et promeuvent des campagnes pour un retour à une dot symbolique.
5. Cadre légal et droits des femmes
La Constitution de la RDC garantit la liberté de choisir son conjoint.
La dot ne doit en aucun cas constituer une contrainte ni un prétexte à des mariages forcés.
Les conventions internationales ratifiées par la RDC (CEDAW, Convention des droits de l’enfant) interdisent toute forme de mariage forcé ou précoce.
Des actions juridiques sont parfois engagées pour protéger les femmes et les jeunes filles victimes de pressions liées à la dot.

6. Impacts sur l’éducation et le développement
La valorisation financière de l’éducation féminine dans la dot peut paradoxalement pousser à des mariages précoces de filles diplômées, coupant ainsi court à leurs projets professionnels.
L’inégalité d’accès au mariage officialisé peut entraîner une démotivation chez les jeunes hommes, affectant leur insertion sociale et économique.
Le commerce de la dot alimente une forme d’exclusion sociale, délitant les liens communautaires qui constituaient le socle de la culture Nande.
7. Témoignages éclairants
- Marie, 22 ans, diplômée, mariée à un homme choisi par sa famille : « Je n’ai jamais aimé cet homme, mais ma famille m’a dit que c’était un bon parti parce qu’il a de l’argent. Je suis partie avec lui sans rien dire, mais au fond, je suis malheureuse. »
- Jean-Pierre, 28 ans, sans emploi stable : « Je n’ai pas pu payer la dot que la famille demandait. Aujourd’hui, ma petite amie vit avec un autre. C’est dur de ne pas pouvoir fonder sa famille à cause de l’argent. »
- Mwami Muteba, chef coutumier : « Nous devons protéger nos traditions, mais aussi les adapter pour qu’elles restent justes et humaines. La dot ne doit pas être une prison. »
8. Initiatives et recommandations
- Dialogue communautaire : Organiser des rencontres entre chefs coutumiers, jeunes, femmes et autorités pour repenser la dot.
- Éducation aux droits : Sensibiliser les familles sur les droits des filles et la nécessité de leur consentement libre.
- Mécanismes de soutien : Créer des fonds ou associations d’entraide pour soutenir les jeunes dans leurs projets matrimoniaux.
- Promotion d’une dot symbolique : Valoriser les aspects culturels et symboliques de la dot au lieu des exigences financières.
9. Contexte régional et comparaisons
Des dynamiques similaires sont observées dans d’autres groupes ethniques en RDC et dans plusieurs pays d’Afrique centrale et de l’Est, où la dot tend à être monétarisée, générant des défis sociaux comparables.
10. Conclusion
La dot chez les Nande est à un tournant critique. Sa marchandisation menace les fondements culturels, sociaux et humains de cette pratique ancestrale. Pour préserver l’honneur de la tradition et garantir la dignité des jeunes femmes et hommes, il est urgent d’engager une réforme collective, en harmonie avec les droits humains, les réalités économiques et les aspirations des nouvelles générations.
Justin Mupanya, correspondant à Beni
![]()
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour envoyer un lien par e-mail à un ami(ouvre dans une nouvelle fenêtre) E-mail
- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquez pour partager sur Pinterest(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Pinterest
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp














