Beni : des habitants s’opposent à l’exploitation pétrolière dans le Graben Albertin

À Beni, dans la province du Nord-Kivu, une mobilisation citoyenne prend de l’ampleur contre un projet pétrolier jugé dangereux pour l’environnement et les communautés locales.

Une campagne locale pour dire non au pétrole

Dans la ville de Beni, une campagne de sensibilisation bat son plein contre le projet d’exploitation pétrolière prévu dans le graben Albertin, une zone écologiquement sensible qui englobe une partie du Parc National des Virunga, classé patrimoine mondial de l’UNESCO.

À l’origine de cette mobilisation, le mouvement Extinction Rebellion Beni, composé majoritairement de jeunes militants engagés pour la défense de l’environnement. Ces derniers sillonnent les marchés, les quartiers et les espaces publics pour alerter la population sur les menaces liées à ce projet.

Le mardi 23 juin 2025, les jeunes du mouvement ont mené des actions de sensibilisation au marché de Letronc, dans le quartier Mabakanga, et à celui de Kalinda. Ils y ont rencontré commerçants et acheteurs pour expliquer les risques environnementaux, agricoles et sociaux.

« Beaucoup de gens n’étaient même pas au courant de cet accord. Une fois sensibilisés, plusieurs se sont montrés favorables à notre démarche et ont promis d’en parler dans leurs communautés », a déclaré un membre du collectif.

Des voix rurales et urbaines contre le projet

Dans les villages environnants, les inquiétudes sont tout aussi vives. Masumbuko Alex, agriculteur à Kilia, sur l’axe Beni-Kasindi, redoute de nouveaux déplacements forcés.

« En tant qu’agriculteur de la zone concernée, je me demande ce que veut notre gouvernement. Pourquoi nous chasser encore de nos champs ? Ce sont les seules terres où nous pouvons encore cultiver avec un peu de sécurité. »

Au marché de Letronc, certaines commerçantes ont exprimé leur colère. Neema Kavira, vendeuse de feuilles de manioc, dénonce un projet qui risque de bouleverser leur vie quotidienne.

« Cette fois, c’est une guerre économique que l’État veut nous imposer. On va raser nos forêts, détruire nos champs, réchauffer le climat… et tout cela pour enrichir qui ? Pas nous en tout cas. Le gouvernement doit nous laisser vivre et cultiver en paix. »

Un passé qui inquiète, un avenir incertain

Pour Nick Junior, militant pro-démocratie et membre actif du mouvement Extinction Rebellion, le projet pétrolier risque de reproduire les échecs déjà observés ailleurs en République Démocratique du Congo.

« Regardez Moanda, au Kongo Central. Le pétrole y est exploité depuis des années, mais les populations locales sont toujours dans la misère. Aucune école, aucune route, aucun progrès. Pourquoi devrait-on accepter ce scénario ici à Beni ? »

Selon lui, dans une région déjà marquée par des conflits armés, des crises humanitaires et les effets du changement climatique, un projet de cette ampleur ne ferait qu’aggraver les vulnérabilités existantes.

Une menace pour l’écosystème des Virunga

Le projet pétrolier soulève aussi de sérieuses préoccupations environnementales. Le Parc National des Virunga, haut lieu de biodiversité abritant les derniers gorilles de montagne et des forêts anciennes, est directement concerné.

Les militants estiment que la destruction de cet écosystème mettrait en péril non seulement la faune et la flore, mais aussi les ressources naturelles dont dépendent les populations : l’eau, les sols, la forêt.

L’enjeu pétrolier dans une perspective régionale

L’exploitation du pétrole dans le graben Albertin s’inscrit dans un cadre plus large, celui du projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline), porté par plusieurs États d’Afrique de l’Est, dont la République démocratique du Congo, le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda. Cette initiative vise à transporter le brut extrait de la région des Grands Lacs jusqu’à l’océan Indien, via un pipeline transfrontalier long de plus de 1 400 kilomètres.

Ce projet suscite des critiques sur toute sa trajectoire : destruction d’habitats naturels, risques de fuites, déstabilisation des terres agricoles, atteinte aux droits fonciers des communautés rurales. Des ONG internationales ont également dénoncé les impacts potentiels sur le climat, estimant que ce pipeline contribuerait à augmenter significativement les émissions de gaz à effet de serre.

Une fausse promesse de développement ?

Dans plusieurs pays africains riches en pétrole, l’expérience montre que l’exploitation de cette ressource ne rime pas nécessairement avec développement. En Angola, au Nigeria ou au Tchad, les revenus pétroliers ont souvent profité à une minorité et alimenté la corruption, pendant que les populations restaient confrontées au sous-développement, aux conflits et à la pollution.

La RDC, bien que peu exploitée à ce jour, risque de suivre le même chemin si les projets sont lancés sans cadre de transparence, de redevabilité et de justice environnementale.

Des alternatives existent

Face aux risques environnementaux et sociaux, des voix s’élèvent pour plaider en faveur d’un développement durable axé sur les énergies renouvelables, la protection des écosystèmes, l’agriculture locale et la valorisation des savoirs endogènes.

Des initiatives pilotes dans certaines zones du Nord-Kivu, comme les coopératives agroécologiques, les programmes solaires communautaires ou l’écotourisme, montrent qu’il est possible de concilier développement économique et protection de l’environnement.

Une mobilisation qui prend racine

La campagne lancée par Extinction Rebellion Beni reflète une dynamique locale : celle d’une population qui refuse un développement imposé sans concertation. Jeunes, agriculteurs et commerçants s’unissent pour exiger une autre vision de l’avenir, fondée sur la préservation des terres et des moyens de subsistance.

Ils appellent à l’abandon pur et simple de l’accord EACOP dans leur région, et réclament des solutions construites avec les communautés locales, et non contre elles.

Justin Mupanya, correspondant à Beni

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